Où leurs préjugés prirent une bonne grosse claque

Chine - Janvier 2016

Je ne peux ouvrir ce chapitre sans poser cette vérité pourtant difficile à admettre : j’ai peur de la Chine. Une angoisse irrationnelle dont je cherche à identifier les causes et décerner les contours.

Je n’ai pas peur de la Chine comme j’avais peur, en Colombie, de la criminalité et du terrorisme. Je n’ai pas peur de la Chine comme j’ai peur de l’Inde, de ses prétendus arnaqueurs et harceleurs. Ma peur de la Chine est plus diffuse, et probablement moins fondée. Le fruit, je crois, d’histoires réelles et inventées que l’on ma comptées, d’images vues et fantasmées, le tout saupoudré de xénophobie, au sens le plus littéral du terme : la peur de l’autre.

J’imagine que la couverture médiatique que l’on fait de la Chine en France n’est pas étrangère à mes angoisses. Je me souviens d’une époque, au début des années 2000 je crois, où la mode dans les médias français était aux reportages sur « la Menace Chinoise ». Comment les chinois allaient bientôt dominer le monde, nous voler notre travail, notre argent, notre territoire, et jusqu’à nous avaler totalement. Les universités et grandes écoles se sont alors empressées d’établir des partenariats avec les universités chinoises, et de proposer à leurs étudiants d’apprendre le mandarin, affirmant que c’était là le seul moyen de surfer sur la vague plutôt que de se faire engloutir. Il me semble aujourd’hui qu’avec le ralentissement de la croissance économique chinoise, le fantasme d’une Chine ultra puissante qui dominerait le reste du monde s’est peu à peu étiolé.

J’imagine une pollution qui rend partout l’air irrespirable.

Toutefois, les images et récits sur la Chine qui circulent en Occident demeurent souvent peu reluisants. Quand je pense à la Chine, j’imagine une pollution qui rend partout l’air irrespirable, je vois de jeunes enfants alignés derrière des machines à coudre dans des sous-sols insalubres, je revois cette célèbre photo d’une plage si noire de monde que l’on ne distingue ni le sable, ni la mer, j’imagine des rues sales et surpeuplées, j’envisage avec dégoût une gastronomie à base de chien, de chat, de pattes de poulet et de becs de canards, je vois des milliers de Chinois qui aspirent leur nouilles bruyamment, j’ai peur que l’on ne se comprenne pas, je crains qu’ils nous rejettent. A l’approche de Pékin, je suis partagée entre la curiosité de découvrir un nouvel endroit, et l’intime conviction que je ne m’y sentirai pas à mon aise.

Ayant déjà vendu la mèche dans le titre de ce chapitre, je peux l’écrire sans craindre de mettre en péril quelque suspens : mes préjugés ont pris une bonne grosse claque.

Nous découvrons d’abord de Pékin son métro, sitôt sortis du train de nuit qui avait cheminé depuis Harbin, plus au Nord. Première surprise : les stations sont propres, le métro est rapide et simple à utiliser –les indications sont traduites en Anglais, et les noms de stations sont transcrits en alphabet latin, en plus des idéogrammes chinois.

Mais ce qui nous frappe surtout, ce sont les signes d’une extrême modernité : tous les passagers sans exception ont des smartphones aux écrans immenses vissés dans la main, des écouteurs enfoncés dans les oreilles, et ceux qui ne sont pas en train de regarder des films discutent en ligne avec leur famille ou leurs amis sur l’équivalent chinois de Whatsapp. Nous découvrirons par la suite que les Chinois ont leurs propres versions de toutes les applications que nous utilisons au quotidien (moteur de recherche, cartographie en ligne, réseaux sociaux, applications de discussion instantanée, critiques de restaurants, etc.) et que le gouvernement bloque les versions occidentales, afin de contrôler les informations auxquelles ils ont accès. Nous sommes aussi fascinés par l’omniprésence de la publicité dans le métro : des écrans diffusent des spots sonores sur les quais et dans les wagons, des publicités animées sont projetées sur les murs des tunnels du métro au rythme que roule ce dernier. Les passagers, eux, sont majoritairement jeunes, en jean, T-Shirt et baskets dernier cri.

Lorsque l’on se promène parmi ces étroites rues pavées, on a l’impression de faire un bond dans le passé.

En moins d’une demi-heure, nous atteignons notre hôtel, une mignonne auberge située dans le quartier de Dongsi, au milieu de l’une de ces petites ruelles qui font le charme de Pékin, les hutongs1. Lorsque l’on se promène parmi ces étroites rues pavées, que l’on longe les maisons de plein pied aux portes en bois gravé, les échoppes de rémouleurs, ou les boutiques d’apothicaires aux vitrines remplies de fioles et flacons étranges, on a l’impression de faire un bond dans le passé. On y croise pêle-mêle riverains qui refont le monde sur un bout de trottoir, cyclistes bravant le froid, chiens errants, visiteurs égarés, vendeurs ambulants… Tranchant avec le charme suranné de ces ruelles, l’avenue principale du quartier semble abriter tout ce qu’une ville moderne peut avoir à offrir: restaurants par dizaines, cafés branchés, boutiques de vêtements, agences bancaires, etc. Immédiatement, nous sommes séduits par l’heureux mélange de tradition et de modernité qui semble caractériser Pékin.

Au fil des jours qui suivent, nous écumons les lieux chargés d’Histoire qui ponctuent cette ville impériale au passé grandiose. Parmi les salles immenses de la Cité Interdite, résidence colossale des dynasties Ming et Qing, nous sommes happés par les mythes et légendes de ces familles hors du commun. Tromperies, empoisonnements, incendies volontaires, un aperçu du monde impitoyable dissimulé derrière une apparence de splendeur et de richesse.

Plus tard, dans le parc du Temple du Ciel, au fil des longues allées parfaitement entretenues, bordées de salles de prières six fois centenaires à l’architecture fabuleuse, on imagine avec contemplation l’empereur qui venait ici à chaque solstice pour implorer le ciel de lui donner de bonnes récoltes. Etonnamment, le parc est aussi un formidable lieu de vie, où jeunes et moins jeunes se promènent, se reposent ou discutent gaiement sur un banc. Le spectacle le plus fascinant a lieu au petit matin, lorsque des groupes de personnes âgées s’adonnent avec une joie communicative à leurs disciplines favorites, aussi variées qu’improbables : tricot, tai-chi, accordéon, danse costumée, jeu d’échecs ou de cartes, etc. Cette démonstration de l’existence d’un lien social fort autour de plaisirs simples, dans une société que l’on imagine de plus en plus consumériste et individualiste, est particulièrement touchante et inspirante.

La furieuse modernité de Pékin se retrouve aussi dans le dynamisme de sa scène artistique. Le 798 Art District, ancienne zone industrielle entièrement reconvertie en galeries d’art, en est l’une des plus belles vitrines. Cet immense complexe donne à voir, dans de grands hangars aux murs immaculés, les œuvres d’artistes Chinois et internationaux contemporains, ainsi que quelques pièces du siècle dernier. Toutes les formes d’art y sont représentées, de la peinture aux immenses sculptures en plein air en passant par des installations multimedia et certaines œuvres, indéniablement subversives, sont une véritable bouffée d’air dans ce pays soumis à la censure.

Mis en appétit par nos journées de visites dans un froid glacial, nous passons pas mal de temps aux tables des restaurants pékinois. Là encore, je confesse que je me faisais une idée peu réjouissante de la cuisine chinoise, à l’image des spécialités douteuses que l’on trouve chez certains traiteurs asiatiques à Paris : bœuf qui baigne dans une sauce sucrée et fluorescente, viande dont on ne sait identifier la nature, sans oublier les boules cocos/nougats qu’on vous glisse discrètement avec votre commande tel un cadeau empoisonné.

Quelle délicieuse surprise avons-nous eue ! Nous découvrons une gastronomie fine, légère, audacieuse et pleine de saveurs, à mille lieux de ce que l’on imaginait. Nouilles maison servies dans un bouillon relevé d’épices et de coriandre fraiche, champignons marinés au poivre noir du Sichuan et baies roses de l’Himalaya, mini-aubergines confites, riz sauté au soja. J’en salive encore…

Cette entrée en matière avec la Chine se révéle résolument inattendue et réjouissante et nous laisse excités de découvrir ce que cet immense pays a encore à nous offrir.

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Le 15 janvier 2024

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