Où ils firent les frais du nomadisme

Chine - Janvier 2016

Le 12 janvier 2016, nous vivons notre dernier voyage à bord du transsibérien. Le train nous laisse à Zabaïkalsk, ville de l’extrême-orient russe et porte d’entrée vers le nord-est de la Chine. Nous nous apprêtons à traverser la frontière à pied, et je vis ce moment avec la fébrilité d’une rentrée des classes.

D’abord, il y a la nostalgie. Celle de l’année scolaire terminée, passée au milieu de visages devenus peu à peu familiers, de professeurs que l’on a dû apprivoiser, de règles durement assimilées. Trente jours après avoir fait nos premiers pas sur le sol russe, j’ai l’impression que l’on commençait tout juste à en déchiffrer les codes. Timidement d’abord, puis avec enthousiasme et détermination, nous nous sommes appropriés l’alphabet cyrillique et quelques rudiments de russe. Nous avons appris à acheter un billet de train, et à trouver un arrêt de bus. Nous avons découvert et appris à aimer les chaussons fourrés à la viande et le chou fermenté. Nous sommes devenus presque imbattables au durak, jeu de carte national. Nous avons surtout compris que derrière les visages impassibles des Sibériens se cache une hospitalité rare. Après un mois passé en Russie, nous ne sommes plus tout à fait des étrangers.

Et si les Chinois ne veulent pas de nous ? Et si l’on ne se comprend pas ?

Ensuite vient l’angoisse. Voilà que dans quelques heures à peine, quelques kilomètres seulement, il faudra tout oublier, et tout recommencer. Et si les Chinois ne veulent pas de nous ? Et si l’on ne se comprend pas ? Est-ce qu’au moins ils savent jouer au durak ? Ajoutons à cela que les postes-frontières sont rarement des endroits particulièrement hospitaliers. Ici comme ailleurs, la zone de frontière est une sorte de no man’s land de plusieurs kilomètres de long délimité de chaque côté par de hauts murs de ciment hérissés de fils barbelés. Pas vraiment de quoi nous mettre du baume au cœur… J’ai juste envie de faire demi-tour et d’aller frapper à la porte de Dimitry et Svetlana, Deanna et Serguey, ou encore Sofya, qui nous ont tous accueillis chez eux, dans leur maison, comme si c’était la chose la plus normale du monde.

Mais la rentrée, c’est aussi l’excitation d’entamer un nouveau chapitre, l’opportunité de tout recommencer et faire mieux que l’année passée, la promesse que l’on se fait à soi-même de bien tenir son cahier neuf. On sait maintenant comment séduire de potentiels hôtes sur le site couchsurfing, quels sont les mots indispensables à connaître dans une langue étrangère (toilettes – je ne comprends pas – français – bus – train – bière - riz), combien d’heures on peut tenir dans un wagon avec 56 passagers mais un seul cabinet de toilettes.

Alors on essuie ses larmes, on fait un grand sourire au dernier chauffeur russe qui nous laisse devant le bureau de l’immigration chinoise, on souffle un grand coup, et on y va.

Une fois les procédures d’immigration terminées, un bus nous dépose à Manzhouli, aux confins de la Russie, de la Chine et de la Mongolie, où nous foulons pour la première fois le sol chinois. La ville, dont le faste tape-à-l’œil évoque un Las Vegas mal imité, avec de grands bâtiments récents à l’esthétique d’un goût discutable, et d’immenses enseignes aux lettres colorées, tranche radicalement avec les austères constructions soviétiques que l’on a laissées de l’autre côté de la frontière.

Pourtant, malgré les différences architecturales frappantes, les habitants de Manzhouli témoignent d’un héritage culturel commun avec une partie de leurs voisins de Russie et de Mongolie. Une grande partie de la population de la région est d’origine mongole, au même titre que le peuple bouriate installé aux abords du lac Baïkal. Physiquement, le teint hâlé et le visage rond des mongols les distinguent du peuple Han, qui constitue l’ethnie majoritaire de la Chine continentale. On trouve par ailleurs à Manzhouli autant de restaurants Chinois que Russes et Mongols, et les trois langues y sont pratiquées, rendant pour nous plus douce la transition que nous redoutions.

-36°C au thermomètre, impossible de passer plus de cinq minutes à l’extérieur, même emmitouflés sous l’intégralité de nos couches et sous-couches thermiques.

Manzhouli partage aussi avec ses voisines le climat glacial des plaines sibériennes. A vrai dire, nous n’avons pas encore connu un froid aussi mordant. -36°C au thermomètre, impossible de passer plus de cinq minutes à l’extérieur, même emmitouflés sous l’intégralité de nos couches et sous-couches thermiques. En plein air, la moindre expiration se transforme instantanément en cristaux de glace, et les inspirations vous gèlent jusqu’au fond des bronches.

Nous n’avons qu’une hâte : quitter cet endroit au plus vite pour retrouver des températures plus clémentes. Nous embarquons à bord d’un train qui fait d’abord étape à Harbin, célèbre pour son festival d’hiver et ses impressionnantes sculptures de glace illuminées. Là encore, le froid insupportable nous empêche de profiter des festivités. Nous nous réfugions dans un restaurant en attendant de reprendre le train pour Pékin, étape la plus occidentale de notre voyage…

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Le 15 janvier 2024

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