Douce entrée en matière à notre épopée vers l’extrême Orient, nous prenons le temps de découvrir l’Europe, notre Europe, chaleureuse et familière.
Lancés à vive allure sur les autoroutes allemandes, qui ne souffrent pas de limites de vitesse, nous arrivons bien vite à Berlin, brève escale, où nous passons une douce nuit dans un environnement chaleureux et familier, choyés par nos amis Moritz et Andrea.
Le lendemain, lorsque notre dernier chauffeur de la journée nous dépose, le soir venu, au cœur d’un quartier Nord de Varsovie, nous avons pour la première fois le sentiment d’être à l’étranger, un ailleurs où nos repères sont peu à peu floutés. Devant nous, une rue interminable, large d’une centaine de mètres. De chaque côté, des barres d’immeubles identiques, rectangulaires, décrépis, hauts de 6 ou 7 étages, et tristement alignés à perte de vue. Groupés par trois ou quatre, et portant un même numéro, ces immeubles forment des mini quartiers, avec chacun leurs commerces de proximité : supermarché, maraicher, boulangerie, etc. Nous retrouverons plus tard cet urbanisme impersonnel typiquement soviétique dans chacun des pays que nous traverserons jusqu’à la Russie.
Dans l’un de ces immeubles nous attend notre hôte Asia, contactée sur Internet par le biais de la communauté Couchsurfing1. Asia est une jeune polonaise qui travaille dans le marketing pour une grande marque de dentifrice –elle a d’ailleurs les dents très blanches. Elle vit seule dans un petit deux pièces sans charme du troisième étage. Par la fenêtre de son appartement s’étale une forêt de tours avec, au loin, une armée de grues qui bâtissent sans cesse, repoussant chaque jour les limites de la ville.
Le sourire d’Asia et son enthousiasme à toute épreuve sont un rayon de soleil dans la banlieue grise de Varsovie.
Le sourire d’Asia et son enthousiasme à toute épreuve sont un rayon de soleil dans la banlieue grise de Varsovie. Avec elle, nous découvrons la gastronomie polonaise dans une cafétéria du centre-ville, un milk bar2. Dans la grande salle aux allures de cantine se mêlent étudiants désargentés, sans-abri venus se réchauffer et avaler un généreuse soupe de riz pour quelques centimes, et une poignée d’habitués. Nous goûtons les spécialités locales : soupe de betterave, choucroute polonaise, raviolis à la viande, le tout préparé sur place et servi à la louche dans une vaisselle d’un autre siècle.
Plus tard, nous parcourons à pied le joli quartier historique du centre, et rejoignons des centaines d’habitants amassés sur la grande place attendant fébrilement le moment magique de l’illumination du sapin de Noël. Asia regrette amèrement que les décorations de cette année ressemblent tant à celles de l’an passé, et que la patinoire soit bien plus petite. Pourtant, lorsqu’une voix annonce au microphone l’arrivée du traineau du Père Noël, et qu’enfin les décorations de l’immense sapin se mettent à illuminer la nuit froide, dans un tonnerre d’applaudissements, des étoiles brillent dans les yeux d’Asia.
Après deux nuits chez Asia, nous reprenons la route direction les pays baltes, ces trois petits états coincés entre la Pologne et la Russie, et qui donnent souvent du fil à retordre à qui veut les nommer dans l’ordre. Première escale à Vilnius, en Lituanie, où nous arrivons au petit matin chez Justine, une française expatriée pour quelques mois, que nous avons aussi rencontrée par le biais de Couchsurfing. Le quartier où habite Justine, à une demi-heure en bus du centre de Vilnius est en tous points semblables à celui d’Asia, au milieu d’une multitude d’immeubles tristement alignés sous le ciel gris de Décembre. Il nous faudra une bonne heure avant de trouver le bon bâtiment, puis la bonne entrée, l’étage, et enfin l’appartement.
Justine vit ici depuis quelques mois en colocation avec Oriana, une jeune italienne, dans une sorte d’auberge espagnole qui voit passer pêle-mêle collègues, amis, amis d’amis et couchsurfers. Dans la cuisine, une grande carte du monde est marquée des prénoms de ceux qui ont vécu dans l’appartement, le temps de quelques nuits, quelques semaines ou quelques mois.
De Vilnius, nous parcourons à pied le joli petit centre historique, aux rues pavées et aux maisons colorées. Au cœur de la ville, nous découvrons Uzupis, République autoproclamée par ses habitants depuis 1997, bastion d’artistes et d’idéalistes. Les habitants d’Uzupis se sont arrogé un drapeau, une monnaie, et jusqu’à un Président et un cabinet de ministres. Sur les murs du quartier s’étale en gros caractères et en dix langues différentes la Constitution, qui proclame notamment le droit de chacun d’être heureux, comme de ne pas être heureux, d’être aimé ou pas aimé et le droit de faire des erreurs. La constitution proclame aussi le droit des chiens d’être chiens. Difficile de savoir quel est le degré de sérieux, d’humour et de symbolisme dans cette entité politique qui n’est reconnue par aucun autre état ou instance internationale.
Après Vilnius, notre voyage en stop nous mène en Lettonie, où nous faisons halte à Riga, chez Karlis, 24 ans. Dans un appartement du centre-ville aussi spacieux que vétuste, habité par 6 étudiants, Karlis partage un espace avec son ami Ralfs, et nous cède volontiers son lit –un simple matelas jeté au sol- pour les deux nuits que nous passons chez lui, tandis qu’il dort sur le canapé voisin. Etudiant en urbanisme, il a d’avantage le cœur à cuisiner du sanglier chassé par son père ou projeter pour nous des films sur son grand mur blanc, qu’à terminer ses travaux d’étude pourtant déjà en retard.
Plus grand que celui de Vilnius mais tout aussi charmant, le centre historique de Riga semble surtout plus vivant. Plusieurs quartiers émergents ou en reconversion en font une ville moderne en pleine effervescence. Sur la rue Mielia Iela s’alignent bars branchés, boutiques de créateurs et coffee shop qui n’ont rien à envier à ceux des autres capitales européennes.
Au fond du marché, derrière les étals, un homme à l’air hagard s’entraine au lancer de couteau contre un mur en bois.
Il y a aussi le grand marché, installé sous cinq halles immenses et toutes en longueur où se succèdent fruits et légumes multicolores, fromages et crèmeries, et étals de poissons gigotants. A quelques pas, dissimulé dans la cour d’un bâtiment, nous tombons sur un marché aux puces qui semble dater d’une autre époque, où des montagnes d’outils, pièces de vélo et ferraille rouillée en tous genres, forment de sombres et étroites allées où l’on ne serait pas étonné de se voir proposer un rein. Au fond du marché, derrière les étals, un homme à l’air hagard s’entraine au lancer de couteau contre un mur en bois.
Un soir, Karlis nous emmène d’abord descendre quelques bières dans un centre culturel où se donnent des concerts de jazz, puis jouer aux cartes avec des amis d’un soir dans un bar punk avant d’aller avaler, à deux heures du matin, une bolée de raviolis vendus au poids dans un fast food local. Nous rejoignons l’appartement épuisés et repus.
Nous terminons notre aventure européenne à Tallinn, où nous séjournons en auberge de jeunesse, profitant de moments de solitude et d’indépendance bienvenus après plus d’une semaine chez l’habitant. Nous passons une journée à nous perdre dans le dédale de ruelles et d’escaliers du petit centre.
Le 12 Décembre, nous embarquons à bord d’un bus en partance pour la Russie, pays mythique qui m’angoisse autant qu’il me fascine. Dans mon esprit vagabond se mêlent les délicates ballerines du Bolchoï, des ours féroces, des hommes aux cheveux ras et à la force démesurée, des femmes fines et blondes au visage anguleux, des matriochkas colorées, et des rennes en goguette...