Où ils laissèrent leur coeur en Chine

Chine - Février 2016

Le Yunnan semble avoir toujours eu une place particulière parmi les régions chinoises, situé aux frontières sud-ouest de l’Empire, et isolé du reste du pays par les sommets himalayens. Au fil de notre voyage dans la province, nous réalisons bien vite que nous traversons un monde à part, caractérisé par la beauté saisissante de ses paysages, l’incroyable diversité ethnique et culturelle des minorités qui l’habitent, et le calme religieux des villages tibétains blottis à flanc de montagne.

Quand j’écris ces mots, voilà déjà plus de quatre mois que nous avons quitté le pays. Le temps passe, le temps file, il nous glisse entre les doigts. Alors j’essaie de rattraper les souvenirs, les émotions avant qu’ils ne s’envolent. J’ai souvent oublié le nom des lieux, parfois le nom des gens, mais il me reste cet immense coup de cœur pour une région au charme renversant.

Au cœur des vieux quartiers des villes de Dali et de Lijiang, il faut d’abord faire montre de patience et de persévérance pour échapper aux boutiques de touristes et restaurants tendance. Mais sur les chemins de traverse, loin de l’agitation commerciale, on est récompensés par le charme suranné des ruelles pavées, ponctuées de canaux et de petits ponts de pierre, avec les montagnes enneigées de l’Himalaya en toile de fond.

Les eaux calmes du lac Er Hai, bordées de petits villages assoupis, scintillent de mille teintes de bleu et de gris.

C’est à l’aube que les promenades sont les plus agréables, lorsque la lumière du soleil levant nimbe d’une aura dorée les villes endormies. Au détour de petits passages se cache ici une ancienne porte de la ville, vieille de plusieurs siècles, là un temple bouddhiste richement décoré de couleurs rouge et or. Lorsque les villes se réveillent, que les commerçants soulèvent leurs lourds stores de fer et que les vagues de touristes entreprennent d’engloutirent les rues, nous enfourchons des vélos pour partir explorer la campagne. Aux abords de Dali, les eaux calmes du lac Er Hai, bordées de petits villages assoupis, scintillent de mille teintes de bleu et de gris.

Notre dernière escale citadine est à Shangri-La, dont le nom évoque une terre mythique de l’Himalaya. Ville tibétaine enclavée dans les montagnes à 3600m d’altitude, loin de l’agitation touristique de Dali et Lijiang, Shangri-La offre un havre de paix et de sérénité lorsque nous parcourons ses rues désertées en ce mois de Février. Le fond de l’air est encore bien froid mais le soleil monte désormais haut dans le ciel et réchauffe la ville de ses rayons dorés.

Les ruelles pavées sont colorées par les drapeaux de prières bouddhistes qui claquent au vent des montagnes, et par les tenues chatoyantes des femmes tibétaines. Toutes les maisons de la vieille ville sont décorées de façades en bois délicatement sculpté. Un véritable travail d’orfèvre où se mêlent arabesques, oiseaux et fleurs. La ville porte encore les stigmates de l’incendie qui l’a ravagée en 2014, mais le gouvernement chinois est presque parvenu à lui redonner son charme d’antan en finançant une reconstruction respectant plus ou moins l’architecture originelle du lieu -ce qui semble en Chine assez rare pour être noté.

Au cœur de la ville se dresse une immense tour dorée, qui se révèle être un moulin à prières, objet cultuel tibétain. Sur un gigantesque cylindre sont gravées des formules sacrées, et à l’intérieur de longues bandes de papier ou de tissu couvertes de mantras sont enroulées autour de l’axe. Les croyants font tourner le large cylindre sur son axe à la force de leur bras, dans le sens des aiguilles d’une montre, pour laisser s’envoler l’énergie positive et sacrée qu’il contient.

Dans une petite taverne de la ville, nous goutons à la fondue de yak accompagnée d’une grande tasse de lait beurré et salé, dans la pure tradition tibétaine. Notre estomac s’agite, comme pour montrer son étonnement face à ces saveurs inconnues, mais il finit par s’apaiser. Le soir, nous trouvons gîte dans une maison tenue par un couple de petits vieux.

Shangri-La est aussi et surtout pour nous le point de départ d’une excursion à travers l’un des sites naturels les plus emblématiques du Yunnan : les Gorges du Saut du Tigre. Nous comptons randonner quelques jours sur les flancs de ce canyon, renommé comme étant l’un des plus profonds au monde, au fond duquel bouillonnent les eaux puissantes du fleuve Yangtsé.

Le premier jour de marche, le long d’un sentier escarpé en surplomb du fleuve, et qui doit nous emmener au sommet du canyon, est éreintant. Au début du chemin, à travers un paysage rocheux accidenté, nous sommes accompagnés par de mystérieux hommes suivis d’ânes ou de chevaux. Ils ne nous parlent pas, mais s’arrêtent à nos côtés chaque fois que nous faisons halte, puis reprennent la route sur nos talons. Un instant, je me mets à imaginer qu’ils attendent le moment propice pour nous dépouiller. Mais au bout d’une demi-heure, nous dépassons un groupe de trois Chinois qui avance péniblement en haletant. Aussitôt, les hommes et chevaux nous laissent prendre de l’avance et se mettent à suivre les Chinois. Quelques instants plus tard, nous comprenons enfin leur manège lorsque l’un des trois randonneurs jette l’éponge et s’affale d’épuisement sur un coin d’herbe. Nous apercevons alors les hommes et chevaux aller à sa rencontre, et le randonneur épuisé se retrouve en moins de temps qu’il ne faut pour le dire sur le dos d’un animal, d’où il finira la marche. Les autres continuent à nous suivre presque jusqu’au sommet, mais nous ne craquons pas !

Au fil de notre ascension dans la forêt, nous sommes récompensés par moments par une vue splendide à travers la frondaison, sur la vallée du Yangsté en contrebas. Les nuages filtrent la lumière du soleil qui s’abat sur terre en rubans épais et scintillants. Une fois au sommet du canyon, au terme de 7h de marche, nous trouvons refuge dans une charmante auberge remplie de randonneurs fatigués et heureux. De là, les sommets impressionnants de la montagne enneigée du Dragon de Jade semblent perforer le ciel sombre.

Le lendemain, nous redescendons en quelques heures jusqu’au point le plus profond de la gorge. Nous découvrons alors l’endroit où selon la légende chinoise, un tigre voulant échapper à un chasseur qui le poursuivait, aurait sauté d’un grand bond les trente mètres qui le séparaient de l’autre rive. D’où le nom des « Gorges du Saut du Tigre »… Le spectacle des flots impétueux du fleuve qui tourbillonnent dans un tumulte assourdissant est saisissant. On se sent si petit, si faible face à la force de la nature.

Au terme d’une marche de quatre heures, nous découvrons le paradis sur terre.

Mis en forme par cette randonnée, c’est plein d’une énergie nouvelle que nous entamons quelques jours plus tard une nouvelle ballade, au pied de la montagne sacrée du Kawa Karpo, dans les contreforts himalayens. Au terme de quatre heures de marche et près de 1000m de dénivelé sur une piste de terre et de cailloux, guidés parfois sur notre route par les désormais familiers drapeaux de prière tibétains, nous découvrons, n’ayons pas peur des mots, le paradis sur terre.

Le village tibétain de Yubeng est installé sur les deux pentes qui se font face d’une vallée profonde et verdoyante au fond de laquelle coule une rivière. On dirait que les maisons en bois ont juste été déposées là, et n’ont pas bougé depuis des décennies. De délicates stupas bouddhistes tâchent de leur blanc étincelant le vert paysage. Des troupeaux de buffles et de chevaux se reposent à l’ombre des arbres. Il n’y a pas de route pour accéder au village qui jouit d’un calme fabuleux.

Le paysage est idyllique. Le village est entouré sur trois cotés par des montagnes de roche vertigineuses aux sommets finement ciselés. Et là, au milieu des pentes brunes, elle se tient devant nous, immaculée et majestueuse : la montagne sacrée du Kawa Karpo, dont les sommets enneigés semblent déchirer les nuages. Le spectacle est fabuleux. Nous apprenons que le gouvernement chinois a su entendre les protestations des tibétains face aux tentatives passées d’alpinistes de gravir cette montagne. Toute expédition est désormais interdite : la montagne du Kawa Karpo restera vierge.

Nous passons trois jours inoubliables installés dans une petite auberge, à admirer le paysage merveilleux, apprivoiser les yacks égarés, partir à la découverte de lacs d’altitude et de cascades gelées. Je n’ai pas de mots pour décrire ce sentiment de paix, de sérénité et d’humilité qui nous ne nous a pas quittés durant notre séjour à Yubeng.

Un séjour merveilleux, presque onirique, et la plus belle manière de clore le chapitre de nos aventures en Chine. Nous garderons le souvenir d’un pays immense et fabuleux, qui recèle de mille merveilles insoupçonnées : métropoles ultra-modernes et hyperactives, nature grandiose et paysages d’une diversité infinie, mosaïque de peuples et de traditions. Il nous faudra bien d’autres visites pour embrasser toute la complexité de ce territoire mystérieux et fascinant, terre de contrastes, tiraillé entre l’appel de modernité et la sagesse traditionnelle de ses ancêtres.

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Voilier Le 10 décembre 2016

C'est beau leurs moulins à prière, ça ressemble vachement à nos châteaux d'eau.

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